Henri-Victor Regnault est sans doute l’un des hommes les plus influents de la photographie française des années 1840 et du début des années 1850. Il est en particulier un des acteurs essentiels du développement d'une méthode de calotypie en France. Né en 1810 à Aix-la-Chapelle, Regnault intègre l’École polytechnique en 1830 et sort diplômé de l’École des mines en 1832. Ce physicien et chimiste très doué est élu membre de l’Académie des sciences en 1840 et nommé titulaire de la chaire de physique générale du Collège de France en 1841. À cette époque, Regnault est un des rares en France à avoir pu tester le procédé de l’anglais Talbot. En juin 1841, Jean-Baptiste Biot, qui relaie les avancées du savant anglais auprès de l’Académie des sciences depuis janvier 1839, annonce à celui-ci qu’il a confié ses derniers papiers préparés au jeune Victor Regnault, «physicien aussi habile que savant chimiste, qui avait fait déjà, pour son propre plaisir, des épreuves daguerriennes qui ont réussi très heureusement. Vous pouvez être rassuré que ces échantillons seront employés avec toute espèce de soin, d’habileté et d'intérêt». En 1843, le révérend Calvert Jones révèle à Talbot qu'il a lui-même exécuté des calotypes en juillet 1841, à Paris, en compagnie de Victor Regnault et d'Hippolyte Bayard. Talbot avait en effet permis à Calvert Jones d'approcher, par l'intermédiaire de Biot, le milieu photographique français à l'été 1841. En retour, c'est le révérend qui permet à Talbot de se rapprocher de ce même cercle lors du voyage qu'il effectue sur le continent au printemps 1843 pour la mise sur pied de la Société calotypique du marquis de Bassano. Ainsi, le 29 mai, Talbot déjeune à Paris avec Bayard, Hippolyte Fizeau - qui s'intéresse à la reproduction des daguerréotypes -, Jean-Louis Lassaigne, Jean-Baptiste Biot et Victor Regnault. Ce dernier est donc au cœur d'un groupe qui n'aura de cesse d'obtenir que la France se dégage de la patente du savant anglais. Au printemps 1847, Victor Regnault et Jean-Baptiste Biot sont chargés de l'appréciation du procédé Blanquart-Évrard, pour le compte des Académies des sciences et des beaux-arts réunies, pour ce qui apparaît comme un soutien académique majeur à une opération de piraterie scientifique programmée de longue date. Les liens entre Regnault et Blanquart ne sont pas avérés, mais il est certain que l'académicien parisien connaît le Lillois Frédéric Kuhlmann (1803-1881), professeur de chimie de Blanquart en 1826. À la faveur de l'examen de la méthode Blanquart, Regnault et ses élèves du Collège de France expérimentent la photographie sur papier trois jours durant, séances dont subsistent de nombreuses images venant à l'appui de la commission. L'intérêt de Regnault pour la photographie semble se développer à cette époque, alors qu'il entre lui-même dans une période de doute scientifique et que l'instabilité politique de la IIe République le désespère. Dans une lettre de 1851 au savant anglais Herschel, il se reproche le temps consacré à la photographie et pris sur ses recherches scientifiques. C'est qu'alors Regnault est un animateur très actif de la Société héliographique, dont il est membre fondateur. La SFP conserve de lui un album, connu sous le nom d'«album Regnault», un «incunable» qui témoigne de manière exemplaire de la forte sociabilité des milieux photographiques de l'époque, puisque l'on y retrouve non seulement des calotypes de Regnault - portraits de ses collègues de l'Académie ou du Collège de France, images de ses expériences sur l'acoustique (sujet de son cours durant l'année 1850-1851), portraits de sa famille, de sa femme, de ses enfants, dont Henri Regnault, futur peintre orientaliste -, mais encore des images dues à des sommités de la photographie sur papier, tels Blanquart, Le Gray (qui les a annotées), Amélie Guillot-Saguez, le baron de Lagrange ou Talbot lui-même. L'œuvre que Regnault développe en 1851 et 1852 est une œuvre sensible, voire intime (il n'exposera jamais de son vivant), mais pour laquelle on dénombre aujourd'hui environ 200 négatifs. Et, même s'il entrevoit la possibilité d'illustrer ses ouvrages de chimie par des gravures d'après photographies, il développe avant tout une œuvre personnelle, faite de portraits, mais aussi de paysages de la région parisienne, de Normandie et, bien évidemment, de Sèvres, dont, en 1852, il devient directeur de la manufacture et où il pratique la photographie avec Louis Robert. Regnault est un authentique photographe amateur, sensible aux effets de lumière dans des portraits que peu de ses contemporains pourront contempler; certains de ses plus beaux paysages et compositions seront diffusés par Blanquart-Évrard dans les séries Études et paysages et Études photographiques, conjointement avec Marville et Robert. Il entretient de nombreux contacts Outre-Manche, où il exposera, notamment à Londres en 1852; il est élu membre honorable de la Royal Photographie Society de Londres en 1855 et côtoie John Stewart, avec qui il réalise des photographies en Angleterre en 1853. En 1855, s'il ne fait pas partie des membres fondateurs de la SFP, c'est sans doute qu'à cette époque sa carrière photographique est quelque peu derrière lui. Mais il offre ainsi une caution à la fois scientifique et déjà historique à la SFP en en prenant la présidence en mars 1855. Celle-ci devient d'autant plus honorifique que Regnault est atteint d'une commotion cérébrale au cours d’un accident de laboratoire en août 1856 - il restera président de la société jusqu’en 1868.
Notice extraite de :
AUBENAS, Sylvie ; ROUBERT, Paul-Louis ; DURAND, Marc. Primitifs de la photographie: le calotype en France, 1843-1860. [Paris], Gallimard, 2010, pages 302-303.